septembre, 2014
Himalaya, Ladakh et Zanskar
L’idée d’un grand voyage en moto était enfouie en moi depuis toujours.
A 39 ans, avec un permis en poche depuis à peine deux ans et mes quelques milliers de kilomètres au compteur sur mon sporster Harley 72, il était temps pour moi d’aller vérifier cette information (de la plus haute importance) : les yacks avaient-ils déserté les hauts plateaux himalayens au profit de hordes de motards ?
Mon périple était le suivant : 2000 km de route dans la chaîne himalayenne, au Ladakh et au Zanskar, deux régions indiennes, situées au Nord Est de l’Inde, derniers refuges de la culture tibétaine en terre libre.
Je partais en groupe, avec un guide, une assistance technique et en Royal Enfield. Je prendrai la moto à Leh, capitale du Ladakh pour 13 jours de roulage à raison de 8 heures de moto quotidiennes et ce à une moyenne de 4000 mètres d’altitude. Un joli défi et surtout de belles émotions en perspective. Feed Back !
Quand on arrive à Delhi, l’Inde vous infuse par tous les pores. La chaleur y est suffocante, l’odeur poisseuse, le bruit obnubilant. La capitale indienne et ses quelques vingt millions d’habitants vous aspirent dans son immense roue de la vie et vous ne pouvez rien y faire. C’est ainsi, vous êtes plongés dans le plus grand bazar humain et le plus beau concert de klaxons du monde. Le vacarme est si intense que Delhi aurait été déclarée « ville la plus bruyante du monde » et depuis peu une ONG essaye désespérément d’instaurer une journée sans klaxons. Bon courage.
Vous ne retrouverez pas de calme mais vous rongerez un peu votre frein en partant à la découverte de Karol Bagh, le plus grand marché dédié à la moto de New Delhi !
Karol Bagh est une sorte d’avenue de la Grande Armée (NDLR : avenue comportant tous les concessionnaires de moto à Paris) mais version super capharnaüm ! Au milieu de ruelles boueuses et d’un délicieux mélange d’odeurs de friture et d’huile de vidange, les mécanos s’affairent au fond d’échoppes minuscules à réparer et bidouiller tout ce qui peut encore rouler. On peut tout acheter en pièce détachée, tout vendre aussi, tout se faire faire sur mesure et bien entendu trouver la moto de ses rêves. Au choix, la mythique Royal Enfield mais aussi des Héro Honda à pléthore, des Bajaj de toutes les époques et quelques récents modèles.
Leh, une ville dans les nuages
Atterrir à Leh, véritable point de départ du road trip, donne l’impression de se poser au milieu des nuages. La capitale du « Petit Tibet libre » se situe à 3600m d’altitude et il déjà possible de ressentir les symptômes du Mal des Montagnes : Céphalées, nausées, vomissements et vertiges en sont les signes les plus fréquents. Son incidence est variable, mais les effets augmentent très rapidement avec l’altitude ; 15 % à 2 000 mètres d’altitude et 60 % à 4 000 mètres. Il est possible de prendre des médicaments pour s’en prémunir mais il vous en coutera quelques effets secondaires comme souvent des fourmillements au niveau des pieds et des mains.
Celle avec qui je vais partager mon quotidien pendant deux semaines est une Bullet Classique 500cc, le modèle emblématique de chez Royal Enfield.
Une moto de légende incarnant toujours aujourd’hui l’aventure et le style. Fondée en 1890 en Angleterre, Royal-Enfield a lancé en 1949 la Bullet 350, l’Inde en équipera son armée et usinera ainsi la moto. En 1970, si l’usine britannique disparait, la firme Enfield-India Limited subsiste.
« Made like a gun, runs as a bullet”
La prise en main est somme toute assez perturbante quand on est habitué comme moi à un sporster 1200 cc avec des commandes avancées et un guidon apehanger. Là, avec ses quelques petits 180 kg et son petit empattement, je me sens sur un vélo. Fort heureusement le sélecteur de vitesse est à l’occidentale et on a le choix de kicker ou pas. J’adore le ronronnement du monocylindre, sa facilité de prise en main, son petit air rustique. Néanmoins, pendant les premiers kilomètres, j’ai l’impression qu’elle est bridée à 80k/h. En effet, le monteur n’incite guère à monter dans les tours mais c’est surtout la puissance qui ne semble pas être au rendez-vous à l’inverse des vibrations.
Une première impression certes en demi-teinte mais toute relative quand on se rappelle les effets de l’altitude sur la puissance du moteur et surtout quand on emprunte les routes indiennes qui sont trouées comme du gruyère. La petite 500 cc va me bluffer par sa robustesse et sa maniabilité.
Rouler jusqu’à 5602 mètres d’altitude, done !
L’ascension du Kardunhg la, le col carrossable le plus haut du monde à 5602m, ne sera qu’une simple formalité pour la Royale qui semble flotter au-dessus des cailloux. Pour la conductrice, c’est moins évident. Caillasse, virolos en épingle, froid, poussière….l’acclimatation est raide et il faut rester concentrée sur la topographie du terrain alors que le paysage est absolument fascinant.
Jullay ! Jullay ! (bonjour)
Splendide Lamayuru
Qui dit ascensions de cols dit fort heureusement descentes vers les vallées. Les routes qui serpentent au milieu des plaines au travers du Ladakh sont des moments de roulage purement magiques. Après une belle journée de virolos, le village tranquille de Lamayuru, perché au cœur des roches se révèle un havre de sérénité inattendu. Son monastère, le Yungdrunp Gompa, le plus vieux du Ladakh abrîte aujourd’hui encore, des moines et des moinillons qui y pratiquent le bouddhisme dans la plus pure tradition tibétaine. Au milieu des tournesols et des roses trémières qui poussent incroyablement bien à de si hautes altitudes, il faut savoir quitter son plus fidèle destrier pour aller à la rencontre du peuple ladakhi et de sa gentillesse. L’ascension, à pied, au lever du soleil jusqu’au chorten (édifice religieux) surplombant le village me coûte presque un poumon mais, une fois au sommet, m’offre un moment unique de quiétude.
Reprendre la route chaque matin malgré le froid et les courbatures de la veille demeure un moment de plaisir. Chaque départ est une promesse de paysages toujours plus beaux, toujours différents. Ainsi les routes qui mènent vers Kargil, à quelques dizaines de kilomètres du Pakistan à vol d’oiseau, sont d’une beauté majestueuse et les mots sont impuissants au regard de la grandeur et de l’immensité qui vous entourent.
Au fur et à mesure des kilomètres, les réparations se multiplient : joint de culasse, bras oscillant, pneus crevés, câble d’embrayage….A moins d’être un super pro de la mécanique, d’apporter avec vous toutes les pièces de rechange ou d’avoir plusieurs mois devant vous, il est nettement préférable d’être accompagné par un mécanicien indien. Sanjay sera mon sauveur, une sorte de super héros de la mécanique, un défi humain lancé aux visages de tous les garagistes, un affront impensable pour tous les concessionnaires. Car Sanjay détecte la moindre panne à l’oreille, répare tout ce qui se trouve sur une Royal en moins de 15 mn et toujours avec le sourire.
Ici et peut-être plus qu’ailleurs, les choses ont la valeur que vous voulez bien leur accorder. Alors, un câble d’embrayage foutu, c’est avant tout l’opportunité de contempler l’immensité, de rencontrer les populations et tout simplement, qui sait, d’éviter un carambolage de camions à 5 mn près.
Comparé au Ladakh, le Zanskar reste une région rarement explorée et encore moins en moto.
Cette petite région est isolée du reste du monde durant un interminable hiver de 8 mois ! Dans ces hautes vallées, un peuple de paysans et de moines y vit (pauvrement) vivant de tsampa (farine de d’orge) et de lait de dri (femelle du yack). Miam.
Une seule piste permet de s’enfoncer dans les plaines zanskaries. 400 kms de cailloux (et pas des petits gravillons), ornières, et passages de gué s’ouvrent devant vos roues. La vitesse moyenne quotidienne est ridicule. Entre 15km/h et 40 km/h maximum pour parcourir à peine 100 kms par jour. Mais peu importe, au Zanskar, le temps s’arrête et vous n’avez pas assez de vos yeux pour réaliser que ce que vous voyez est tout simplement hors proportion, dans sa splendeur, sa beauté, sa minéralité.
Après 8 heures d’effort, vous pouvez toujours rêver d’un bon bain chaud, vous ne l’aurez jamais. Les hôtels sont des campements assez sommaires. Pas d’eau chaude, des sanitaires qui n’en ont que le nom, du courant électrique épisodiquement. En septembre, c’est l’été au Zanskar, et les nuits sont déjà froides (moins 5 degrés la nuit dans les tentes). Mais au diable l’encombrement occidental ! Discuter avec les femmes zanskaries, bergères isolées de tout ou jouer avec les moinillons du monastère de Karsha vous fera relativiser et prendre de la vraie altitude.
J’emmène toujours un album photos avec moi pour partager en images, faute de mots, un peu de ma vie…ici les moines s’étonnaient de voir ma fille, Anna, à la mer. L’océan étant une réalité bien lointaine pour les zanskaries.
Jullay ! Jullay ! (bonjour)
J’adore, j’adore les camions Tata !
La Transhimalayenne
L’étape ultime du périple est la Transhimalayenne. Construite dans les années quatre-vingt-dix, elle suit le tracé de l’ancienne route de la soie et connecte la vallée de l’Indus au pied sud de l’Himalaya afin d’atteindre le cœur de l’Inde. Retrouver le bitume est une sensation exquise. Le Rhotang La col situé à 3978 mètre et qui veut dire « tas d’os » (beaucoup de voyageurs y auraient laissé leur peau) sera l’apothéose en terme de conduite. Pluie battante en continue, boue, brouillard, bouchon de camions Tata sur des dizaines de kilomètres…C’est ubuesque, apocalyptique, un peu dangereux, mais tellement (re)vivifiant.
Mon coeur est resté à Saarchu
Ma plus belle rencontre. Je lui ai laissé mon album photo avec les photos d’Anna.
Et les yacks dans tout ça ? Soyez rassuré, ils n’ont pas déserté l’Himalaya. Vous en croiserez un de temps à temps. Exactement comme ces motards en Royal Enfield qui s’amuseraient presque à se prendre pour des aventuriers…et qui ont bien raison.