août, 2017
La promesse de la route… (livre)
Sur la couverture, un portrait, un regard. Celui d’une petite fille éthiopienne magnifique, majestueuse, des yeux incroyables, perçants, tristes.
Le regard d’une enfant qui semble déjà n’en être plus une…
Odile était elle aussi belle ? Forcément. Avait-elle le même regard quand elle comprit que la maladie allait l’emporter laissant l’homme qu’elle aimait tant et qui l’aimait tant ? Peut-être.
Le « Bandana Bleu, Contes d’une promesse » de Jean-Jacques Aneyota n’est pas un livre qui parle de moto. C’est bien mieux. C’est un magnifique livre sur l’amour, sur un amour éternel que la mort a emporté, sur un homme, Jean-Jacques, qui part « à moto promener son deuil sur les routes africaines. »
J’ai lu le « Bandana Bleu » d’une seule traite. Impossible de m’arrêter, touchée en plein cœur par la sincérité de Jean-Jacques, la sincérité de ses sentiments et de son écriture; une écriture juste, sensible, simple. Scotchée aux pages, un régal à lire.
Quel bonheur de suivre ce voyage, l’itinéraire d’un homme blessé. Un périple rythmé de contretemps, jalonné de rencontres, de bons samaritains, qui freinent son « impatience, l’ennemi du voyageur » comme il l’écrit, et qui pourtant le feront avancer…
Avancer. On ressent parfois chez l’auteur comme une urgence à progresser, à en terminer de ce voyage, comme de cette douleur, en s’éprouvant vite…Une impatience qui contraste avec le rythme de l’Afrique, continent qui va lui donner « la première leçon de (son) errance volontaire (…) un voyage est long fleuve dont le courant nous entraine parfois dans le dédale incertain de ses circonvolutions…mais loin d’être un contretemps chaque méandre constitue une porte ouverte vers de nouvelles rencontres, de nouvelles aventures. »
Oui, comme le dit Nicolas Bouvier « Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n’a pas coulé ne sauront jamais rien de la mer » disait Nicolas Bouvier.
Alors le naufragé avance. Il tombe puis retombe et se relève. Toujours.
Non sans humour, l’auteur partage sa route : joyeuse, douloureuse, heureuse : « à défaut de piloter, j’avais appris à tomber », « La chaleur monte très vite, cela devient une véritable fournaise.
J’ai le choix entre deux modes de cuisson : visière du casque baissée, je cuis à l’étouffée et visière relevée, je grille. »
De sa moto, on ne saura pas grand-chose avant la fin du livre. Peu importe la monture pourvu qu’on ait l’ivresse, n’est-ce pas ? Pour l’auteur, le motard » … est à l’instar du fauve, tous sens aux aguets. Il est en prise direct avec son environnement. Il est l’odeur chaude de la terre, se délecte de la pluie tombant sur sa peau, ou du vent lui caressant le visage. Le voyage est sensualité. Sensualité brutale parfois, douloureuse même, mais sensualité avant tout. «
Si l’on ignore tout de cette moto, celle dont il tait le nom, c’est Odile.
« Elle » l’accompagne dans ce voyage et « Elle » l’entourera toujours de son amour avec ce petit bandana bleu…c’est pour « Elle » qu’il est parti, pour tenir une promesse.
Au rythme du voyage et aux rythmes de l’Afrique, le cœur de Jean-Jacques se remet alors en route. « Le voyage me guérit d’Elle petit à petit ».
Avec une grande justesse, simplicité et humanité, il partage son amour pour ce continent où « si la richesse se mesurait à l’aune du nombre de fois où les gens rient par jour, alors, l’Afrique serait infiniment plus riche que l’Occident ».
Vous l’aurez pigé : J’ai adoré ce livre.
Il ne parle pas de moto et pourtant indirectement il évoque merveilleusement la force du voyage à moto, l’énergie libératrice et parfois salvatrice qu’il peut procurer.
Sur la dernière de couverture : la moto, sa R100GS de 91, toute crottée, usée, éreintée.
Une moto qui semble se reposer, enfin, s’appuyant de tout son poids sur cette petite béquille pour la maintenir dans un équilibre a priori bien précaire et pourtant solide.
N’est-ce pas finalement une bien jolie image de la moto ? Un engin défiant toutes les lois de l’équilibre et qui a pourtant le pouvoir de nous relever, de nous tenir debout, solide et fragile à la fois.
Le Bandana Bleu, contes d’une promesse est édité par la maison d’édition : Le Monde pour passager. Leur but est d’éditer des récits de voyages singuliers sous deux collections : Davaï (récits de voyage format roman) et Road trip (beaux livres d’images). N’hésitez pas à découvrir tout leur catalogue !
https://www.youtube.com/watch?v=Ig91Z0-rBfo
J’ai écrit ses quelques lignes en écoutant la fabuleuse Sona Jobarteh, une compositrice, chanteuse et instrumentaliste gambienne, première femme joueuse professionnelle de Kora. Je l’ai découverte au Festival du Bout du Monde sur la Presqu’ïle de Crozon cet été. Magnifique, comme le « Bandana Bleu », elle vous fera voyager dès les premières minutes. J’espère que si Jean-Jacques Aneyota me lit, il appréciera.
La photo de couverture du Bandana Bleu est de Patrick Galibert.
Paul Ardenne, la moto sur le divan (livre)
Si vos proches, vos amis, votre famille pensent que vous êtes déjà complètement toqué, mordu, accro… de la moto, alors un bon conseil : ne laissez pas traîner ce livre car sinon ils prendront carrément peur !
Dans Moto Notre amour, livre paru en 2010, Paul Ardenne (historien de l’art) s’emploie à disséquer par le menu la relation que nous, biker, pilote, motard…entretenons avec notre moto.
Et c’est à la fois intéressant, étonnant, flippant !
Il faut dire que Paul Ardenne n’y va pas avec le dos de la cuillère et pousse sa réflexion jusqu’aux frontières de l’art et de la philosophie parlant de la moto comme d’un « projectile humanisé, un super membre complémentaire, un bras, une jambe, un sexe, une entité cérébrale en sus » et d’une relation à elle « corpo-poétique » qu’il faut entendre par « poiesis », en grec, la création. Ok ?
Un texte troublant, parfois excessif, intime à la lecture duquel je me suis parfois trouvée complètement imperméable mais aussi parfois en complète résonance.
Sans nul doute, de nombreux passages trouveront en vous un écho et vous rappelleront des situations maintes fois vécues :
- Le jour où l’on montre à ses potes sa moto pour la première fois, cet instant magique du « dévoilement » ou c’est la moto qui prend la pose et que l’on entoure avec cérémonie.
« Le regard alors est actif et sensitif à la fois. L’œil voit pense, évalue, disserte, jouit ». - Ce moment où l’on roule dans un tunnel : « Le bruit renforce le lient entre moto et pilote. Les tunnels routiers ? De formidables chenaux de musicalité mécanique. Dans un tunnel, la moto baigne dans son propre bruit, amplifié. »
- Ce moment où l’on se retrouve en groupe : « Ces rassemblements que l’on atteint après avoir parcouru parfois des milliers de km pour être présent, et où l’on sera distingué par ses pairs pour ce haut fait kilométrique ».
La regarder, l’écouter, la toucher…Paul Ardenne dresse ainsi un motoportrait par les 5 sens car même le goût y passe ! Oui, oui , le goût.
Le chapitre « Amours suprêmes » est particulièrement corsé, voire osé.
L’auteur y évoque de façon assez étonnante le goût de la moto. Oui goûter sa moto, son huile, comme un œnologue goute un vin. Cette étrange attirance pour l’huile du moteur, la graisse du carter…ce qu’il appelle : l’érotisme du sale.
Quand à toucher sa moto, il écrit : « Ma main promenée avec précision dans leurs entrailles mécaniques, sur la surface aussi lisse qu’une vulve féminine aux lèvres épilées d’un réservoir ou d’un flanc de carénage, sur telle excroissance de leur plastique ou de leur mécanique érigée en saillie….comme une fouille corporelle, une masturbation. »
De là à passer pour « un désaxé motomaniaque » bon à enfermer, il n’y a qu’un pas…
Une véritable fusion érotique, vous dis-je.
« Ma moto, toujours, est un corps vif. Elle est mon corps, je suis le sien. Nous communiquons, nous nous comprenons. Nous endurons ensemble et devenons solidaires, amis, amants. Son moteur s’envole-t-il vers les hauts régimes, nous pulsant l’un et l’autre dans l’air toujours plus dense, quand je visse en butée sa poignée d’accélérateur, je jouis avec elle. »
Marianne Faithfull aime enfourcher le gros engin… dans La motocyclette, filme réalisé par Jack Cardiff, sorti en 1968.
Un livre où l’on se retrouve, on se découvre, on apprend, on s’étonne, on s’interroge et où l’on se perd parfois un peu mais qui évoque souvent avec grande justesse ce double sentiment d’exaltation et de dangerosité que nous connaissons tous, parfaitement, avec la moto.
Un « désir d’effroi » (que certains recherchent plus que d’autres probablement) et qu’il décrit ainsi « piloter une moto, c’est célébrer la vie à chaque instant et tout autant à chaque instant pouvoir chuter, cette même vie volontairement mise en péril. » Une célébration comme un poème ; « Une création de soi que la moto précipite, encourage, élabore. » selon l’auteur.
Moto, notre amour : une vraie philosophie de la moto, une esthétique, voire une théologie si l’on reprend les termes du proverbe que Paul Ardenne cite en exergue de son livre : “Dieu est une 1000 Vincent Black Shadow“ ».
Un livre à lire allongé sur un divan…le psy en moins.