Paul Ardenne, la moto sur le divan (livre)

Si vos proches, vos amis, votre famille pensent que vous êtes déjà complètement toqué, mordu, accro… de la moto, alors un bon conseil : ne laissez pas traîner ce livre car sinon ils prendront carrément peur !

Dans Moto Notre amour, livre paru en 2010, Paul Ardenne (historien de l’art) s’emploie à disséquer par le menu la relation que nous, biker, pilote, motard…entretenons avec notre moto.
Et c’est à la fois intéressant, étonnant, flippant !

Il faut dire que Paul Ardenne n’y va pas avec le dos de la cuillère et pousse sa réflexion jusqu’aux frontières de l’art et de la philosophie parlant de la moto comme d’un « projectile humanisé, un super membre complémentaire, un bras,  une jambe,  un sexe,  une entité cérébrale en sus » et d’une relation à elle « corpo-poétique » qu’il faut entendre par « poiesis », en grec, la création. Ok ?

Un texte troublant, parfois excessif, intime à la lecture duquel je me suis parfois trouvée complètement imperméable mais aussi parfois en complète résonance.
Sans nul doute, de nombreux passages trouveront en vous un écho et vous rappelleront des situations maintes fois vécues :

  • Le jour où l’on montre à ses potes sa moto pour la première fois, cet instant magique du « dévoilement » ou c’est la moto qui prend la pose et que l’on entoure avec cérémonie.
    « Le regard alors est actif et sensitif à la fois. L’œil voit pense, évalue, disserte, jouit ».
  • Ce moment où l’on roule dans un tunnel : « Le bruit renforce le lient entre moto et pilote. Les tunnels routiers ? De formidables chenaux de musicalité mécanique. Dans un tunnel, la moto baigne dans son propre bruit, amplifié. » 
  • Ce moment où l’on se retrouve en groupe :  « Ces rassemblements que l’on atteint après avoir parcouru parfois des milliers de km pour être présent, et où l’on sera distingué par ses pairs pour ce haut fait kilométrique ».

La regarder, l’écouter, la toucher…Paul Ardenne dresse ainsi un motoportrait par les 5 sens car même le goût y passe ! Oui, oui , le goût.

Le chapitre « Amours suprêmes » est particulièrement corsé, voire osé.

L’auteur y évoque de façon assez étonnante le goût de la moto. Oui goûter sa moto, son huile, comme un œnologue goute un vin. Cette étrange attirance pour l’huile du moteur, la graisse du carter…ce qu’il appelle : l’érotisme du sale.

A l’époque, paraît-il qu’on se coiffait au Castrol…
La moto est elle sexuée ? vaste question….ici le costume de Thierry Mugler pour le clip Too Funky de Georges Michael en 1990.

Quand à toucher sa moto, il écrit : « Ma main promenée avec précision dans leurs entrailles mécaniques, sur la surface aussi lisse qu’une vulve féminine aux lèvres épilées d’un réservoir ou d’un flanc de carénage, sur telle excroissance de leur plastique ou de leur mécanique érigée en saillie….comme une fouille corporelle, une masturbation. »
De là à passer pour « un désaxé motomaniaque » bon à enfermer, il n’y a qu’un pas…

Une véritable fusion érotique, vous dis-je.
« Ma moto, toujours, est un corps vif. Elle est mon corps, je suis le sien. Nous communiquons, nous nous comprenons. Nous endurons ensemble et devenons solidaires, amis, amants. Son moteur s’envole-t-il vers les hauts régimes, nous pulsant l’un et l’autre dans l’air toujours plus dense, quand je visse en butée sa poignée d’accélérateur, je jouis avec elle. »

Marianne Faithfull aime enfourcher le gros engin… dans La motocyclette, filme réalisé par Jack Cardiff, sorti en 1968.

Un livre où l’on se retrouve, on se découvre, on apprend, on s’étonne, on s’interroge et où l’on se perd parfois un peu mais qui évoque souvent avec grande justesse ce double sentiment d’exaltation et de dangerosité que nous connaissons tous, parfaitement, avec la moto.
Un « désir d’effroi » (que certains recherchent plus que d’autres probablement) et qu’il décrit ainsi « piloter une moto, c’est célébrer la vie à chaque instant et tout autant à chaque instant pouvoir chuter, cette même vie volontairement mise en péril. » Une célébration comme un poème ;  « Une création de soi que la moto précipite, encourage, élabore. » selon l’auteur.

Paul Ardenne

Moto, notre amour : une vraie philosophie de la moto, une esthétique, voire une théologie si l’on reprend les termes du proverbe que Paul Ardenne cite en exergue de son livre : “Dieu est une 1000 Vincent Black Shadow“ ».

Un livre à lire allongé sur un divan…le psy en moins.

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