décembre, 2017
Luc Cotterelle, Terre Propice (dvd). L’aventure comme Présent.
Le mot « présent » est un bien joli mot. Il veut dire « maintenant », « être là, assister » et il veut dire « cadeau ».
C’est pourquoi le mot “présent » colle parfaitement au film de Luc Cotterelle : Terre Propice.
Car voici l’histoire d’un homme qui a rendez-vous avec lui-même, chaque jour, là, aux confins de l’Afrique, dans ces terres propices qui vont tout lui offrir : la bienveillance, l’entraide, la liberté…le temps.
Un incroyable périple que Luc effectue en 2012, seul, alors âgé de 41 ans, au guidon de sa 1150 GS. Au départ, un petit break prévu de 6 mois, voire 8, max, le temps pour lui de rejoindre Cap Town en Afrique du Sud depuis sa ville, Dunkerque. L’escapade durera 2 années et 7 mois.
Quelques 950 jours, 87 300 km, 44 pays traversés, 5000 litres d’essence, 20 kg de perdus…les chiffres permettent à peine de saisir l’ampleur de son aventure, et c’est tant mieux car sincèrement l’essentiel est bien ailleurs. L’essentiel ne se calcule pas, ne se mesure pas, ne se quantifie pas.
Alors, tant pis pour les amoureux des exploits kilométriques, les stakhanovistes de la route, les furieux de la montre, les « François Gabart » du bitume… Luc prend son temps et moi je l’ai tant apprécié ce temps, émerveillée pendant les 1h30 de son film réuni sur 2 DVD.
Au départ, cela ressemble à une échappée, nécessaire, presque vitale comme une urgence. Pourtant, si pour Luc, il semble urgent de prendre le temps, le vrai tempo de son voyage, c’est le rythme de l’Afrique qui va le lui imposer, petit à petit.
Un rythme scandé de galères en sourires, de difficultés en rencontres miraculeuses, de phases de doutes en phases de certitudes.
Voilà, le rythme de l’Afrique qui l’embarque dans ce qui devient alors une promenade (pas toujours de santé), une balade ou devrais-je dire une ballade comme un poème, comme un chant. Oui Luc flâne. Le grand raide vadrouille.
Il prend son temps et beaucoup de détours, parfois forcés, souvent souhaités, jusqu’à parfois se mettre en déroute, lui-même.
L’errance est en embuscade comme il le dit. Pas l’errance géographique, l’errance de l’esprit. Il le sait. Le présent le remplit, le présent l’avale aussi.
Alors de pays en pays, Luc apprend à ajuster « son lâcher prise » et moi, je pense à Nicolas Bouvier en regardant ce grand gaillard qui pense faire un voyage alors que le voyage le fait et le défait à grand coup de providences.
Si le film de Luc se conjugue au présent, l’Afrique, elle, se conjugue au pluriel.
J’aurais bien collé un petit « s » à cette « Terre Propice » tellement magnifique de sa diversité, tellement riche de ses ethnies, de leurs cultures, de leurs savoir-faire et de leurs rituels fascinants.
Du Mali au Togo, du Gabon au Burundi, du Gabon à l’Ethiopie…ce film est un magnifique témoignage sur l’Afrique. Et si les images sont belles, je crois que les paroles le sont encore plus.
Les conversations sont parfois drôles. Souvent, les échanges se passent de mots. Et puis, immanquablement, derrière les sourires, les mots vous balancent à la face une réalité tellement dure.
J’entends encore ceux emplis de fatalité des « bayendas », ces courageux pousseurs de vélos qui ne rêvent que d’une route en lieu de leurs pistes ravinées. Ou encore, la sagesse de cet homme burundais, qui avec 3 simples cailloux pour cercler un feu, explique les 3 valeurs de son pays : l’unité, la paix, le progrès…sinon le pot ne tiendra pas sur le feu.
https://youtu.be/nTFPDJMeZGE
« Demain il fera beau sur les routes, demain il fera beau sur les chemins » Kaporal Wisdom.
Et puis surtout, surtout, cet optimisme, brandi comme ce qui semble être, bien souvent, la seule arme contre le destin et l’injustice.
Oui, si l’optimisme était une monnaie, l’Afrique serait sûrement le continent le plus riche du monde.
Et enfin, la parole de Luc. Elle se fait guide tout au long du film pour nous apprendre tant sur ce continent, sans jugement, tout en nuance.
Entre confidences sur ses (rares)appréhensions, son sentiment d’impuissance souvent, les mots de Luc claquent parfaitement, justes, sincères et empreints d’une rare humilité, aussi grande que l’est son aventure.
Oui, Il faut bien écouter ce film. Jusque dans ces moindres détails comme prendre le temps de découvrir la superbe playlist qui égrène tant de petits bijoux musicaux, de belles voix, de messages engagés.
https://www.youtube.com/watch?v=1jzwUHlimmE
Lorsque j’ai rencontré Luc, je l’ai trouvé Grand, certes, mais surtout comme tant d’autres, je lui ai dit d’écrire un livre. On doit être nombreux à te mettre la pression !
Au final, Luc, je me rends compte à quel point ton film est déjà un livre.
Un livre où les protagonistes sont avant tout le sourire des enfants, des femmes et des hommes rencontrés, les paysages, l’optimisme et bien sûr cette moto que tu tiens à bout de bras, à moins que ce ne soit l’inverse, sans mise en scène.
Et pourtant, c’est un livre ouvert sur toi.
Luc, Il y a tant de voyageurs qui bouchent leurs propres paysages.
Toi, c’est l’inverse.
Et selon moi, sache-le, ça, c’est le vrai talent des grands écrivains-voyageurs.
Terre Propice est un cadeau, pour les yeux, les oreilles et l’âme. Offrez-le (vous) !
DVD en vente depuis son site : www.le-grand-raid.com
Crédit photos : Luc Cotterelle.
Anne-France, c’est pas du vent. (livre)
C’était en 1972.
Seule femme sur 92 pilotes, Anne-France Dautheville, 28 ans, participe au raid Orion entre Paris et Ispahan. Une fois arrivée en Iran, elle poursuivra en Afghanistan et au Pakistan.
Trois mois plus tard, à son retour en France, des rumeurs circulent : on la dit lesbienne, nymphomane, et surtout qu’elle ment sur son exploit car elle l’a fait dans un camion du raid ! Voilà qui est gonflé tout de même !
Anne-France brasserait-elle de l’air ?
Furieuse, elle décide de repartir, seule, cette fois-ci, pour un tour du monde, qu’elle veut faire constater par huissier : Canada, Alaska, Japon, Inde, Afghanistan avec une petite Kawasaki 100cc…..et na ! Son périple incroyable, elle le relate en 1975 dans Et j’ai suivi le vent, réédité cette année, chez Petite bibliothèque Payot Voyageurs.
Je l’ai lu cet été et voilà 3 mois que je repousse l’exercice de vous partager mon avis (puisque j’ai en pris l’habitude). Je ne me suis pas pressée et j’ai drôlement bien fait.
En effet, il y a quelques mois, mon opinion était pliée : Je n’avais pas franchement aimé le livre d’Anne-France et pire encore je ne comprenais pas le vent d’enthousiasme qui emportait soudainement toute la presse.
En effet, j’ai eu vraiment du mal à entrer dans son livre et à y rester. A me dire que j’aurais mieux fait de mettre 9 euros dans mon réservoir que de lire les aventures de cette jeune femme qui pourtant me faisait tant envie.
Oui, j’ai trouvé que la narration ne laissait peu de place, sinon aucune, à la description des paysages qu’elle avait dû pourtant traverser, à ses sensations vécues sur la moto….C’était un enchainement de rencontres, d’allers-retours d’ ambassades en bureaux Air France et autres péripéties. Parfois, cela en devenait comique, comme ces lignes entières qu’elle accordait à des faits sans grand intérêt tel ce passage sur sa rencontre nocturne avec un chat alors qu’elle campait au bord d’une piscine.
« C’est à ce moment précis que le chat m’a vue. Un beau chat tricolore comme ce n’est pas permis, visiblement francophile. Zzzzwip ! Clop, clop, clop ! Ce crétin de chat venait de découvrir le toboggan. J’ai peu dormi, cette nuit-là. »
Désarmant, comme l’idée d’un chat tricolore, en effet. Moi, j’aurais aimé qu’elle me parle de la beauté (ou pas) des rives du St Laurent, des forêts canadiennes…
Et bien non : « J’avais fait mon devoir de touriste, j’avais vu Montréal, j’avais vu Québec. Maintenant les forêts pour me faire plaisir ».
L’héroïne, puisqu’elle se définit ainsi, semblait suivre simplement le vent balayant parfois d’une rafale tout un pays. Le chapitre intitulé « quelques arguments pour mieux détester le Japon » est pour le moins explicite.
Certes, sur ce coup-là, étant fascinée par la culture nippone, c’est sans aucune objectivité, que je vous avoue mon agacement à supporter ses préjugés pendant 40 pages sur les japonais et les japonaises comme autant de vérités de la Palice.
Diable, Anne-France, le voyage ne consiste-il pas aussi à avoir de nouveaux yeux ?
Et puis, parfois, c’était tout l’inverse. Son écriture révélait une femme dotée d’un humour certain, mais également d’une sensibilité à fleur de peau.
« Ma vie est-elle si vide, que je sois obligée de lui fabriquer sans cesse des motivations et des événements ? Que je lui ordonne un sens, afin qu’elle en ait un ? Pourquoi ne faut-il sans cesse faire ? Ne puis-je donc me contenter d’être ? Qui est ce à quoi je tends, au plus profonde de moi ? Suis-je le Juif errant, et faudra-t-il que j’aille au plus loin de la joie, de la souffrance et du partage, pour trouver en fin, en un éclatement ultime et douloureux l’être que je passe ma vie à fuir, de toute mon énergie. Ce soir je suis fatiguée, je deviens mauvaise joueuse. Alors le jeu s’évanouit, et il ne reste que des pourquoi et pas beaucoup de parce que ».
Avec ces quelques lignes empreintes de sincérité et de fragilité, je me réconciliais avec Anne-France qui n’était pas sans me rappeler Ella Maillart, cette grande exploratrice qui n’a eu de cesse, elle aussi, au travers de sa quête de grandiose de pourchasser finalement sa propre réalité.
Je refermais donc la dernière page en me disant que si Anne France avait suivi le vent, moi je n’avais rien suivi du tout. Je restais avec une idée brouillonne de sa personnalité, à l’image de l’illustration de la couverture de son livre. J’étais mi- déçue mi-énervée, comme si je lui en voulais de ne pas m’avoir donnée ma dose d’aventure et d’exploit.
Aussi, parce que j’ai trop de respect, d’admiration et d’envie pour tous les écrivains voyageurs ou voyageurs écrivains, et parce qu’il était donc impossible que je sois aussi lapidaire sur le genre, je suis allée écouter le mystère Anne-France Dautheville.
Le rendez-vous avait lieu samedi 28 novembre, chez MYMY Rider, super atelier de réparation/boutique d’accessoires dédié aux femmes adeptes de motos situé à Paris dans le 20ème arrondissement.
Dès ses premiers mots, j’ai saisi qu’Anne France écrivait tout simplement comme elle parlait. Avec beaucoup de dérision, de franc-parler, d’ironie, de fraicheur et de piquant.
Sa voix déborde de vie. Son intonation joyeuse retombe parfois d’un coup sec, rendant sa répartie encore plus tranchante, surtout quand on ne s’y attend pas, comme la belle chute à la fin d’une histoire. Car oui, Anne-France Dautheville fait rire et sait bien le faire. Elle se moque d’elle-même, rit de ses aventures, se joue de son image de belle brindille un peu guindée et avoue tout de go que de toute façon elle n’a vraiment compris le sens de son voyage que 50 ans plus tard.
« Au fond c’est idiot de faire le tour du monde. C’est idiot et, à la limite, c’est dangereux. Idiot, parce que j’ai vu trop de choses trop vite, que j’ai touché à tout, et que peut être je n’ai rien compris ».
Un détachement qui continuait de me surprendre et qui contrastait pourtant avec une sensibilité que je sentais sourdre en elle, quand elle commentait pour nous ses photos de voyages, celles de visages d’enfants…ou encore quand elle évoquait avec émotion la majesté des Bouddhas de Bâmiyân au Pakistan réduits en poussière en 2001 et qui l’avaient tant fascinée.
Alors qu’en conclure ?
Que je devrais probablement relire son livre.
Je l’apprécierais probablement beaucoup mieux, même si je garderai cette impression d’un livre écrit de façon instinctive, une « démonstration », un manifeste de son audace, de sa témérité et de sa réussite, une preuve pour le fameux huissier, une réponse à ses détracteurs comme pour dire : « Tenez les gars, voilà, je l’ai fait, c’est écrit là et « Je crois que maintenant j’ai surtout envie de me taire » comme elle l’avoue en première page.
Je crois que je garderais aussi ce double sentiment : celui d’avoir écouté et rencontré une très grande dame. Une sacrée nana, un vrai caractère, une femme à la fois téméraire et drôle. Et puis celui d’avoir lu le livre d’une jeune-femme qui se raconte mais qui ne se dévoile pas, qui se montre mais ne se livre pas.
Oui, si Anne-France était un vent, elle ne serait pas de ceux-là qui balayent les plaines, brûlent les yeux ou cinglent les visages pour vous laisser exténués. Non, elle serait une petite brise qui s’amuse à caresser les surfaces des fleuves, à décoiffer les coiffures de ses dames et à faire tourbillonner les feuilles d’automnes dans les airs nous faisant lever les yeux vers le ciel pour s’apercevoir que « tiens, aujourd’hui, le ciel est bien bleu ».
Alors chers ami(e)s je vous invite à découvrir son livre et à me dire ce que vous en avez pensé et surtout à aller la rencontrer lors de d’une de ses interventions. Quant à vous, chère Anne France Dautheville, je vous remercie chaleureusement de m’avoir déroutée. Tenez, je vous envoie même une petite bise…..une façon chaleureuse de vous souhaiter encore de suivre le vent, longtemps.
crédit photos Anne-France Dautheville.
+ infos : https://www.facebook.com/annefrancedautheville/
http://www.payot-rivages.fr/payot/livre/et-jai-suivi-le-vent-9782228918138